Dans mes deux posts précédents, j’évoquais les conséquences de l’utilisation des outils numériques (ON) sur nos habitudes de travail et sur la charge mentale.
Il y était notamment question de la difficulté de séparer les activités professionnelles et personnelles, avec l’utilisation des outils tels que les smartphones ou les emails. Ces outils mobiles permettent en effet d’être joint à tout moment et en tout lieu, ce qui peut être très utile, mais ne facilite pas la distinction des activités professionnelles et privées, et crée différents types de charge mentale.
Lors d’une étude que j’ai menée avec ma collègue Julie Finnerty en juillet 2016 (« L’impact de l’utilisation des outils numériques sur la charge mentale des salariés »), nous avons réalisé une enquête sur plus de 800 salariés. Cette enquête montre que 42% des salariés ont recours à des stratégies spécifiques de régulation et de coordination entre les activités professionnelles et personnelles, en lien avec l’utilisation des ON.
J’avais expliqué dans un de mes posts les raisons des difficultés de mise en place, par les entreprises, de règles de déconnexion destinées à mieux séparer les activités professionnelles des activités personnelles (nous verrons comment peut se décliner la toute récente loi sur le droit à la déconnexion…). Ces difficultés tiennent notamment au fait que, lorsqu’elle est imposée, la déconnexion suscite un sentiment de perte d’autonomie, celle-ci étant de plus considérée comme un gain notable lié à l’utilisation des ON.
Nous voyons pourtant ici que près de la moitié des salariés font appel, de leur propre chef, à des stratégies de régulation afin de coordonner les activités professionnelles et personnelles. La mise en place de ces stratégies n’est corrélée avec aucun facteur socio-démographique (sexe, âge, catégorie socio-professionnelle, situation familiale ou secteur d’activité), indiquant que toute la population des salariés peut être concernée.
Ces stratégies montrent que les salariés sont acteurs de leur mode de travail et qu’ils adaptent leur fonctionnement à leurs besoins spécifiques, en détournant parfois l’usage des ON à leur service. Ceci alors même que ces ON sont les vecteurs d’un brouillage des frontières entre vie personnelle et vie professionnelle, et d’une charge mentale plus importante.
Ces stratégies peuvent être de l’auto-limitation de l’utilisation des outils numériques : des règles que l’on s’impose mais auxquelles l’on peut déroger, au contraire des règles de déconnexion imposées par l’entreprise (impossibilité d’envoyer un email après une certaine heure par exemple). Elles consistent aussi souvent en une entente avec les personnes concernées, dans l’entourage professionnel et/ou dans l’entourage personnel. Les ententes sont toutefois plus cadrées et donc plus facilement respectées lorsqu’elles sont conclues avec l’employeur (par exemple l’adaptation des horaires de travail) que lorsqu’elles sont passées avec l’entourage familial (« Ne m’appelle que si c’est urgent… »). D’autres stratégies, enfin, portent sur l’usage des ON : avoir un téléphone portable professionnel et un autre personnel, ce qui représente une tentative de séparation des usages, ou à l’inverse, utiliser l’agenda électronique professionnel pour gérer en parallèle ses activités personnelles.
Toutefois, la mise en place de stratégies amène aussi une forme de méta-travail (organiser, planifier, faire s’accorder les horaires…) qui vient s’ajouter à la charge mentale induite par l’utilisation des ON.
Il est intéressant de relever que le choix des stratégies donne un aperçu de l’identité professionnelle du salarié, de son rapport au travail, et du type de relation qu’il entretient entre sa vie personnelle et sa vie professionnelle (voir mon premier post) : les hyperconnectés admettent des frontières très perméables entre leurs vies privée et professionnelle, les bipolaires procentrés cloisonnent les activités en admettant plutôt un empiètement de la vie professionnelle sur la vie privée, et les bipolaires orientés foyer cloisonnent aussi les activités, en autorisant plutôt les incursions de la vie personnelle au travail.
Pour autant, 62% des personnes qui mettent en place une stratégie connaissent un débordement de la vie professionnelle vers la vie personnelle, et 23% d’entre elles connaissent un débordement du personnel vers le professionnel.
Parmi les salariés qui connaissent un débordement des activités (dans un sens ou dans l’autre) :
- près de la moitié d’entre eux déclarent que c’est parce qu’ils n’arrivent pas à suivre une stratégie d’organisation,
- environ un quart parce qu’ils acceptent les débordements,
- et presque un quart parce qu’ils sont contraints d’accepter ces débordements.
Finalement, très peu de salariés qui ressentent un débordement répondent que c’est parce qu’ils ne s’organisent pas pour l’éviter (6 à 7%).
Il y a presque toujours, sinon une tentative, au moins une volonté de s’organiser pour réguler ses activités et éviter de se sentir débordé dans un sens ou dans l’autre.
Et ceux qui ne se sentent pas débordés ? Parmi ceux qui ne sentent pas de débordement du professionnel vers le personnel, 62% affirment que c’est parce qu’ils mettent en place des stratégies d’organisation. Ils sont 75% à le déclarer parmi ceux qui ne connaissent pas de débordement du personnel vers le professionnel.
Et vous-mêmes, quelles stratégies mettez-vous en place pour réguler vos activités personnelles et professionnelles ? Que pensez-vous des pratiques de déconnexion mises en place par les entreprises ? Partagez avec nous vos pratiques et vos astuces pour éviter d’être débordé…
Retour de ping : ON4/4 : L’utilisation des outils numériques changerait-elle nos modes de vie ? – QAPN-conseil
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