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ON4/4 : L’utilisation des outils numériques changerait-elle nos modes de vie ?

dali interrogation

Je vous avais promis un quatrième article sur l’utilisation des outils numériques (ON) par les salariés…Ce dernier article fait une synthèse des impacts de cette utilisation sur les modes de vie et sur la santé des salariés.

Mais d’abord, voyons les statistiques récentes : elles sont formelles, notre utilisation des ON et d’internet est croissante, pour atteindre la quasi-totalité de la population occidentale : 84% de la population d’Europe de l’Ouest utilise internet en 2016, et jusqu’à 88% en France

(source : étude du CREDOC « Le baromètre du numérique en 2016 » http://www.credoc.fr/pdf/Rapp/R333.pdf).

Le taux d’équipement atteint 82% pour les ordinateurs personnels, et 40% pour les tablettes, ce qui signifie que certaines personnes ont plusieurs équipements. A cela, il faut ajouter le taux d’équipement en smartphone, bien souvent utilisé comme un ordinateur (65%).

Taux d’équipement en ordinateur et tablette à domicile (en % de la population) :

Taux d’équipement en smartphone et téléphone mobile (en % de la population) :

Ce premier constat se double d’un second : l’utilisation des ON est aussi très répandue dans le monde du travail. Ainsi en 2016, 67% des actifs utilisent des outils numériques à des fins professionnelles plus de 3 heures par jour (jusqu’à 81% chez les cadres), et 37% les utilisent presque quotidiennement en dehors des heures de travail (jusqu’à 61% pour les chefs d’entreprise et commerçants et 44% chez les cadres) (source : étude Eleas de 2016 sur les pratiques numériques).

Ces chiffres rejoignent les résultats de notre étude « L’impact de l’utilisation des outils numériques sur la charge mentale des salariés », réalisée avec une enquête sur plus de 800 salariés en juillet 2016 par Julie Finnerty et moi-même.

Dans mes posts précédents, j’ai relaté quelques résultats de notre étude ; elle montre des dépassements de lieux et d’horaires de travail et une porosité croissante entre vie privée et vie professionnelle. Les débordements des activités sur une autre sphère de vie (du professionnel vers le personnel ou inversement), dus à cette porosité, ne sont d’ailleurs pas toujours perçus consciemment. Et nous relevons en parallèle que les salariés mettent en place des stratégies pour réguler les activités afin d’éviter ces débordements. De plus, les activités sont modifiées avec les ON, avec une augmentation des flux d’information et de demandes, une instantanéité des échanges, et des exigences accrues de performance. Tous ces phénomènes conduisent à une augmentation de la charge mentale aussi bien cognitive que psychologique, en volume et en typologie.

Ces constats montrent que les conduites changent avec l’utilisation des ON : les activités des différentes sphères de vie (personnelle et professionnelle dans notre étude) sont de plus en plus imbriquées, dans une gestion commune, selon une certaine stratégie. Nous montrons alors une tendance à une nouvelle représentation de « système global de vie », où les activités ne sont plus gérées et/ou réalisées chacune dans un sous-système1, en des temps et lieux dédiés, mais conjointement, dans un flot continu de demandes, d’informations et d’actions. Vous commandez vos courses sur internet pendant les heures de travail, répondez à un sms de votre boss en préparant le dîner, vérifiez des informations sur internet pendant la réunion mensuelle, planifiez vos activités personnelles sur l’outil d’agenda électronique professionnel…

Outre les impacts sur les modes de vie, nous avons recherché les impacts de l’utilisation des ON sur la santé des salariés. Presque la moitié des personnes interrogées déclare l’apparition ou l’accentuation de symptômes tels qu’une fatigue au réveil ou un trouble du sommeil, liés à l’utilisation des ON. Environ un tiers des participants se dit être proche du burn-out et un quart des participants reconnait avoir des comportements agressifs, en lien avec ces outils. Certaines personnes peuvent présenter plusieurs de ces symptômes.

impacts santé outils numériques

Ces chiffres sont à mettre en regard des phénomènes de techno-dépendance, de techno-stress et de FOMO2, induits par l’utilisation des ON. Les études montrent qu’ils sont dus à la surcharge informationnelle en même temps qu’une crainte de manquer une information importante. Ils sont d’autant plus alarmants que l’utilisation des ON est en même temps associée à un gain en autonomie et en efficacité de travail, et que ces outils deviennent pour beaucoup (surtout chez les cadres) quasi-indispensables.

Au-delà des conclusions de notre étude, il me semble que, dans ces conditions, la place du travail est à réinterroger. La saine distance au travail qui permet de relativiser les vécus et peser l’importance des demandes semble se réduire, a fortiori si toutes les activités sont gérées comme un seul « système global de vie ».

Pour appliquer le tout récent article 55 de la loi Travail, relatif au droit à la déconnexion, les partenaires sociaux devront prendre en compte ces processus psychosociaux afin de rechercher une bonne acceptabilité des mesures proposées. Un travail de sensibilisation et de formation sur ces questions auprès des salariés, à tous les niveaux hiérarchiques, me paraîtrait indispensable pour initier la démarche.

Références :

Curie, J., Hajjar, V. (1987). Vie de travail Vie hors travail. La vie en temps partagé. In C. Lévy-Leboyer & J.C. Spérandio (Eds), Traité de psychologie du travail (pp. 3755). Paris : PUF.

Hung, W.-S. et al. (2011). Managing the risk of overusing mobile phones in the working environment : a study of ubiquitous techno-stress. Proceedings 15th Pacific Asia Conference on Information Systems, Brisbane, Queensland University of Technology.

Popma, J. (2013). Technostress et autres revers du travail nomade. Bruxelles : Imprimerie European Trade Union Institute.

1 Selon le modèle du « système des activités » de Curie et Hajjar où chaque sous-système (familial, professionnel, personnel…) est en interaction avec les autres, mais en est distinct.

2 FOMO : de l’anglais « fear of missing out ».

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